L'Esté, un livre 'mal fagotté' ? Expérimentations génériques chez Bénigne Poissenot
Résumé
L'Esté de Poissenot entre-t-il dans la catégorie des " discours bigarrez ", ces propos entrecoupés d'anecdotes dont on s'accorde à trouver les meilleurs représentants sous la plume de Guillaume Bouchet, de Noël du Fail et de Nicolas de Cholières ? On peut a priori en douter. La structure du recueil, qui fait suivre des récits plus ou moins brefs de débats à orientation morale, rapproche plutôt le texte de la nouvelle telle qu'elle est conçue dans les années 1540 et 1550. Le développement de l'histoire-cadre, le lien entre les récits et les préoccupations des personnages et la présence d'un narrateur qui entre dans le concert des voix de l'œuvre en font aussi une sorte de roman. Mais l'Heptameron et la fiction rabelaisienne ne sont pas les seuls modèles possibles du recueil. Les Propos rustiques de Du Fail ou les Dialogues de Tahureau marquent aussi de leur empreinte les récits et discours insérés dans la déambulation pédagogique que rapporte le conteur : trois étudiants en vacances discutent à bâtons rompus de cas d'école de la philosophie morale. L'Esté serait-il alors " mal fagotté ", comme l'affirme d'emblée son auteur ? Il nous semble que la pluralité des modèles génériques de l'œuvre est moins à entendre comme un défaut de forme que comme la recherche d'une nouvelle voie narrative. Publié un an avant le premier livre des Serées, le texte contiendrait en germe des principes de l'écriture commentative et facétieuse du genre " fin de siècle ". Sa pluri-généricité témoignerait alors de l'adaptation des conteurs aux goûts variés du public et de son corollaire, l'évolution constante du recueil narratif divertissant au cours du XVIe siècle.