Apostrophe et dialogisation intersubjective
Résumé
Actes langagiers de constitution du destinataire, les formes d'adresse marquent explicitement la profondeur énonciative de la parole. Cette contribution développe les trois points suivants: 1. Apostrophe et approche énonciative Je montre cette profondeur dans le cadre d'une analyse énonciative de la sphère interpersonnelle construite par l'apostrophe, désignation que je préfère à terme d'adresse, parce que, morphologiquement, le mot inscrit l'ancrage corporel de la relation à autrui, lié au face à face. 2. Apostrophe et dialogisme bakhtinien Mon analyse est orientée sur la relation interpersonnelle et coénonciative, tout discours étant tension vers un autre, appelant, sollicitant un contre-discours. Cette dialogisation est d'ordre interdiscursif et intersubjectif (dans l'interaction des pôles énonciatifs), l'énonciateur anticipant dans son propre discours sur « la réplique non encore dite, mais sollicitée et déjà prévue » (Bakhtine 1978 : 103). C'est ce deuxième type de dialogisme que je sonde dans le cadrage interlocutif effectué par l'apostrophe. 3. Coénonciation et construction de la subjectivité. Saturer la place du destinataire, c'est aussi se positionner (co-)énonciativement, construire divers modes de relation, qui correspondent à autant de positionnements dialogiques. Je montre que l'apostrophe est non seulement un outil majeur de structuration du champ communicationnel, mais aussi un outil de la construction textuelle de la subjectivité, travaillant un rapport interpersonnel modulable d'empathie, de sympathie altérisante, de convocation impérative, de complicité, etc., qui rend compte des modalités de la relation, mais aussi de l'image que le locuteur se fait de lui-même. L'apostrophe me paraît alors jouer un rôle essentiel dans la construction de la sphère interpersonnelle : elle travaille la plasticité intersubjective, façonne la construction de l'instance textuelle elle-même, et la manière dont le sujet « ne devient sujet réel que sur l'avènement de l'autre » (Lafont, Il y a quelqu'un, la parole et le corps), l'autre donnant à l'énonciateur son statut. L'analyse des apostrophes porte sur des corpus authentiques : corpus littéraires et procès verbaux des séances du conseil municipal d'une grande ville.