L'archéologie des Celtes et les révolutions manquées du temps - Cahier des thèmes transversaux ArScAn Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Cahier des thèmes transversaux ArScAn Année : 2001

L'archéologie des Celtes et les révolutions manquées du temps

Résumé

La p en sée m oderne introduit un renversement d e perspective par rapport « l'histoire », telle qu'elle restait p erçu e jusqu'à l'âg e classique : désormais, c 'e s t le changem ent ou l'introduction d e la nouveauté qui conduit la m arche des événem ents. Plus profondém ent, c 'est dorénavant l'évolution e t non plus la p e rm a n en c e qui sous-tend le destin des choses e t des êtres dans le tem ps : l'histoire devient un cham p d'ex p érien ce ouvert, l'e sp a c e d e tous les possibles e t non plus le nécessaire rappel d 'u n ordre ancien que le présent tend à décom poser. C e retournement, par lequel s'impose la notion inédite d'histoire ouverte, a nourri toute la p en sée scientifique du XIXe siècle, c o m m e 3 a dominé les d é c o u v erte s conceptuelles majeures du XXe siècle : les hom mes et les sociétés ont une histoire dont les m ouvem ents sont ceux d e révolution d e la nature, d e la m êm e manière que les choses d e la nature e t la m atière d e l'univers sont à considérer com m e d e pures productions historiques. Mais c e tte révolution du temps, par laquelle le tumulte d e la nature envahit l'e s p a c e ordonné des sociétés humaines e t où le hasard s'hybride a v e c la conscience, a des implications trop bouleversantes pour q u e la p en sée m oderne puisse l'a c c e p te r com plètem ent. Car intégrer les conséquences d e c e renversem ent du tem ps c'est, au bout du com pte, renoncer à tout c e sur quoi la société m oderne est fo n d ée : la science co m m e objectivation d e l'autre, du non-soi, la technique com m e exploitation du non-humain, la communication com m e l'éc h a n g e d e choses inertes. Aussi, en m êm e tem ps q u e la déco u v erte d e la dimension du tem ps fait a c c é d e r les sciences humaines à d e nouveaux territoires qui sont destinés à être les leurs en propre, l'histoire d e c es disciplines-e t en particulier d e l'archéologie e t d e l'ethnologie-est dom inée par l'urgence d'endiguer le déluge provoqué par la rupture du b a rra g e d e la culture contre la nature, l'obsession d e normaliser les figures du bizarre surgies des profondeurs du tem ps e t d e l'espace, d e dom estiquer l'incontrôlable é c h a p p é d e l'histoire. Les Gaulois (ou les Celtes) concentrent les d ébats constitutifs d e l'identité m oderne, c a r ils sont c e peuple d e s origines, dont le XVIIIe siècle révèle les restes m anufacturés grossiers, mêlés aux créations nobles des cultures d e l'antiquité classique. C e sera le travail des « antiquaires » puis des « historiens d e l'art» d'ordonner, sur in tab le au hérité tout entier d e l'âg e classique, c e qui relève d e l'un et d e l'autre : ignorant du temps, ces esthètes auront à coe u r d e d é p a rta g e r le b e a u du vulgaire, le sophistiqué du primitif, la culture d e l'inachèvem ent barbare. Ils sont ces normalisateurs qui stérilisent l'extraordinaire nouvelle a p p o rté e par la d é co u v erte des antiquités gauloises, ces ép av es singulières qui ne ressemblent justem ent à rien d e connu et qui nécessitent une refonte com plète d e l'histoire d e la culture. Au XIXe siècle, les an n ées 1860 m arquent la s e c o n d e révolution m anquée d e l'archéologie «gauloise». Tandis q u e les premières fouilles dévoilent l'existence d e véritables « civilisations » d é v e lo p p é e s longtemps av an t l'antiquité classique e t m éconnues jusqu'alors, les découvertes d e Lyell e t d e Darwin révèlent l'immensité d e c e Temps p ro fo n d d 'a v a n t l'histoire e t l'incroyable jeu du hasard e t d e la nécessité qui en explique les transformations. La tâc h e principale des archéologues sera d'une part d e com bler par d e s « histoires » le vide vertigineux d e l'abîm e temporel ouvert dans le temps superficiel d e l'histoire d e la culture et des styles : à l'ép o q u e initiale d e la nature, incarnée par les nouveaux tem ps préhistoriques, su ccéd era l'ép o q u e intermédiaire d e l'apprentissage des formes d e la civilisation qui coïncidera a v e c l'antiquité b arb are pré-romaine e t qui préfigurera l'inéluctable assimilation à la culture classique. L'archéologie d e s « antiquités nationales » consistera égalem ent à affadir le c a ra c tè re renversant d e l'évolutionnisme darwinien, en im posant c e tte fable fo n d é e sur l'idée d e progrès technique : en d'autres term es, par la réification du progrès technique dans l'articulation des systèmes typo-chronologiques d e la préhistoire et d e la protohistoire, on substituera l'a d a p ta tio n au hasard. L'archéologie «celtique» ou gauloise q u e nous avons héritée d e c e long XIXe siècle est une archéologie ém inem m ent nationale : en faisant des « Celtes » ou d e s « Gaulois» les ancêtres d e la France bourgeoise p rête à se précipiter dans la Guerre d e 1914-1918, on 173
Fichier principal
Vignette du fichier
Cahier des thèmes_ArScAn_01 Th05_ Olivier L._L'archéologie des Celtes et les révolutions manquées du temps.pdf (1.7 Mo) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
Loading...

Dates et versions

hal-02075232 , version 1 (09-04-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02075232 , version 1

Citer

Laurent Olivier. L'archéologie des Celtes et les révolutions manquées du temps. Cahier des thèmes transversaux ArScAn, 2001, pp.173-174. ⟨hal-02075232⟩
59 Consultations
21 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More