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Article Dans Une Revue Bourgogne-Franche-Comté Nature Année : 2020

Éditorial: biodiversité et pandémie: le lien

Résumé

La crise planétaire occasionnée par la pandémie de COVID-19 confirme malheureusement les avertissements lancés et répétés depuis des dizaines d'années par les chercheurs en écologie, sur les conséquences dévastatrices des atteintes portées à la biodiversité dans le monde (RIPPLE et al., 2017). La biodiversité des microbes fait partie de la biodiversité. Les écosystèmes riches en espèces sont aussi riches en microbes. Mais quand la biodiversité est grande, le passage d'un microbe d'une population isolée à l'autre, voire d'un individu à l'autre, n'est pas facile, car riche en espèces signifie aussi pauvre en abondance pour chaque espèce. A l'intérieur d'une espèce, la diversité génétique est aussi un frein à la propagation des microbes pathogènes. La réduction du nombre d'espèces, et plus généralement de la diversité à tous ses niveaux (génétique, spécifique, des écosystèmes, etc.), s'accompagne toujours d'une augmentation de l'abondance d'une espèce ou d'un groupe d'espèces résistantes et opportunistes. La densité des individus augmentant, la circulation de leurs propres microbes s'intensifie, et c'est dans ces conditions que les zoonoses prennent de l'ampleur. Il en est de même pour l'humanité. La biomasse des mammifères présents sur terre est constituée à 36% par celle des humains et à 60% par celle de leurs animaux domestiques (BAR-ON et al., 2018). L'humanité constitue donc malheureusement un terrain idéal d'incubation et de propagation des épidémies. 3.2 millions d'années nous séparent des australopithèques, ce qui correspond à une succession d'environ 160 000 générations humaines. Pour une bactérie, 160 000 générations se suivent en seulement 10 années, et l'effectif d'une population bactérienne locale est des milliards de milliards de fois supérieur à celui de la population humaine planétaire (cette différence est incommensurable, en fait). Autrement dit, les possibilités évolutives des micro-organismes sont sans commune mesure avec celles des organismes dits supérieurs. Nous aurons toujours de nombreuses mutations de retard par rapport à eux. En témoigne par exemple la vitesse à laquelle la résistance aux antibiotiques s'acquiert. Au XXème siècle, il a fallu environ 20 ans pour voir apparaître les premières résistances à la pénicilline. Maintenant, il ne faut que quelques mois pour voir apparaître les résistances aux antibiotiques de nouvelle génération. Il n'est donc pas étonnant qu'apparaissent de façon fréquente des mutations de bactéries et virus et qu'elles soient sélectionnées là où se concentrent au moins deux des trois compartiments suivants: (1) des points chauds de biodiversité, (2) des élevages industriels de poulets, canards, porcs, ou de bovins, dans lesquels l'usage d'antibiotiques est la règle, et (3) des populations humaines numériquement importantes qui tirent leurs ressources de ces compartiments. L'intensité et la rapidité des transports mondiaux assurent la propagation des microbes émergents en quelques jours, alors qu'au XIVème siècle les épidémies de peste mettaient plusieurs années, par exemple, pour passer d'Asie en Europe. La plupart des microbes ne sont pas pathogènes pour l'homme et sont indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes, certains étant même nécessaires à notre survie individuelle (comme par exemple ceux présents dans nos intestins). Paradoxalement, donc, à tous les niveaux, la biodiversité, y compris celle des microbes, se révèle protectrice, car c'est dans les écosystèmes pauvres en espèces et riches en individus que les microbes circulent le mieux, condamnant les systèmes appauvris à aller de crise épidémique en crise épidémique. La difficulté des agrosystèmes à se préserver des pestes agricoles tient, par exemple, à cette propriété. L'érosion mainte fois dénoncée de la biodiversité, qui accompagne malheureusement mécaniquement la croissance des populations humaines et d'animaux domestique, et la pénétration excessive par l'homme d'écosystèmes jusqu'alors épargnés, fait prendre des risques sanitaires supplémentaires immenses à l'humanité. Ce qu'on constate dans les faits (JONES et al., 2008). En moyenne une pandémie était observée tous les 30-50 ans au XIXème siècle, une tous les 20 ans au début du XXème siècle, et le rythme s'accélère depuis (SRAS-CoV-1 en 2003, H5N1 en 2009, H1N1 en 2012, SRAS-CoV-2 en 2019, etc.), témoignage de cette triste réalité. Le défi majeur de ce siècle est d'inventer une forme d'éco-société mondiale capable d'être le steward de socio-écosystèmes résistants et résilients, cultivant à toutes les échelles une biodiversité maximale. Partout. Ils hébergeront alors durablement une humanité responsable, alors consciente des limites de la biosphère dont elle tire ses ressources. Sinon… les autres scénarios, dont COVID19 ne nous donne qu'un avant-goût léger, sont trop évidemment sombres pour être utilement détaillés ici. BAR-ON Y.M., PHILLIPS R., MILO R. 2018. The biomass distribution on Earth. PNAS 115, 6506‑6511. https://doi.org/10.1073/pnas.1711842115 JONES K.E., PATEL N.G., LEVY M.A., STOREYGARD A., BALK D., GITTLEMAN J.L., DASZAK P. 2008. Global trends in emerging infectious diseases. Nature 451, 990-U4. https://doi.org/10.1038/nature06536 RIPPLE W.J., WOLF C., NEWSOME T.M., GALETTI M., ALAMGIR M., CRIST E., MAHMOUD M.I., LAURANCE W.F. 2017. World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice. BioScience bix125‑bix125. https://doi.org/10.1093/biosci/bix125

Mots clés

Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03175006 , version 1 (19-03-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03175006 , version 1

Citer

Patrick Giraudoux. Éditorial: biodiversité et pandémie: le lien. Bourgogne-Franche-Comté Nature, 2020, 31, pp.1. ⟨hal-03175006⟩
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