Les voies/voix de la vengeance à l'opéra au XIXe siècle
Résumé
" [...] ici chacun se venge ", proclame Ruy Blas au dénouement, sanglant, du drame de Victor Hugo. La déclaration vengeresse pourrait s'appliquer au champ lyrique, dans son extension historique, culturelle et esthétique tant les mots " vengeance ", " vendetta ", " Rache " ou " revenge " ponctuent, amplifiés par l'hyperbolisation du chant, duos, airs ou finales d'opéras. " Poursuivons jusqu'au trépas l'ennemi qui nous offense ", décrète Armide chez Quinault et Lully en 1686 (acte I, scène IV). " Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen ", chante la Reine de la Nuit chez Mozart en 1791 (" Mon cœur est tout brûlant de vengeance infernale ", acte II, scène VIII). " Si, vendetta, tremenda vendetta / Di quest'anima è solo desio ", martelle Rigoletto chez Verdi, d'après Hugo, en 1851 (" Oui, vengeance, terrible vengeance, / C'est le seul désir de mon âme ", acte II, scène VIII). " Here my tragedy began, here revenge begins ", déclame sur un mode hypnotique Miss Jessel, dans The Turn of the screw, Le Tour d'écrou de Benjamin Britten, d'après Henry James, en 1954 (" Ici a commencé ma tragédie, ici commence ma vengeance "). C'est comme si l'opéra s'était donné pour mission d'explorer les zones obscures du déchaînement passionnel et de baliser les territoires archaïques des cultures humaines, un monde d'avant la retenue imposée au sujet ou au clan par la morale du pardon ou par l'institution de la justice - du moins serait-ce la leçon délivrée par une approche anthropologique. Sans doute la vengeance possède-t-elle, comme sujet et comme donnée dramatique, - selon cette fois une approche dramaturgique - une charge spectaculaire auquel les enchantements lyriques, pas plus que la fable tragique, ne sauraient renoncer. Sans doute aussi la vengeance trouve-t-elle une voie d'expression privilégiée dans le chant, dont l'expressivité (hauteur de son, intensité, couleur, accents) transcende la communication commune pour laisser entendre, stylisée ou métaphorisée par la musique vocale, la brutalité quintessenciée des affects qu'aucune civilité ni socialité ne contrôleraient plus.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)