Une « internationale » étudiante en Europe est-elle possible ? La stricte division du travail entre le culturel et le politique professionnalisé à travers les cas comparés de l'ESIB et de l'AEGEE - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2006

Une « internationale » étudiante en Europe est-elle possible ? La stricte division du travail entre le culturel et le politique professionnalisé à travers les cas comparés de l'ESIB et de l'AEGEE

Résumé

La segmentation entre activité politique d'expert et activité sociale de rencontre culturelle est patente dans la structuration actuelle des organisations de coopération étudiante européennes, qu'on le constate dans des processus politiques comme celui de Bologne ou dans l'activité quotidienne de ces organisations qui ne travaillent pas sur le même terrain et semblent vivre comme normale, au sens fort du terme, cette division des tâches. Cette segmentation pose la question de la possibilité (ou de l'impossibilité) d'une citoyenneté étudiante européenne et au-delà, d'une société civile européenne politisée. On semble aujourd'hui loin d'une « internationale étudiante », fût-elle limitée à l'Europe... Où en est-on aujourd'hui en Europe, après la Chute du Mur, en matière de coopération étudiante ? Les deux grandes organisations européennes que sont l'ESIB (European Student Information Bureau – The National Unions of Students in Europe) et l'AEGEE (Association Générale des Etudiants de l'Europe) mettent les étudiants européens en mouvement. L'ESIB fait voyager des représentants étudiants à travers l'Europe à l'occasion de séminaires, Board Meetings (réunions du conseil de l'organisation) et autres Conventions européennes. C'est la fédération des étudiants européens qui s'est investie de la mission de représentation des intérêts étudiants au niveau européen. Fondée il y 23 ans sur l'idée d'échange culturel entre étudiants européens, cette organisation a fortement élargi ses préoccupations dans les années 90 au vu des mutations internationales de l'enseignement supérieur : elle s'est peu à peu investie d'une mission de représentation. Désormais forte de 50 associations et syndicats issus de 36 pays dans et hors Union européenne, la fédération prétend représenter, indirectement, plus de 11 millions d'étudiants. L'AEGEE clame quant à elle 15 000 membres individuels directs dans 241 villes universitaires, c'est l'une des plus grandes associations interdisciplinaires d'étudiants en Europe. Elle « vise à promouvoir l'idée d'une Europe unie » et à « développer une société ouverte et tolérante », et organise quant à elle des événements culturels à travers l'Europe, notamment des universités d'été de divers types : langues, tourisme régional… Pourtant, ces deux organisations ne font pas voyager le même type d'étudiant et elles ne le font pas pour les mêmes raisons. D'une part, à l'ESIB, on trouve des représentants étudiants, et de l'autre, à l'AEGEE, des étudiants non engagés politiquement. Qui plus est, l'ESIB est une organisation down-top, une fédération formée des émanations des syndicats nationaux étudiants, alors que l'AEGEE est une organisation top-down, qui a placé des antennes similaires dans toute l'Europe et seulement au niveau local, ignorant le niveau national. La visibilité d'AEGEE est bien supérieure à celle de l'ESIB, ne fût-ce que pour une question de nom : les membres d'ESIB sont d'abord identifiés par leur nom de syndicats nationaux (UNEF , FAGE , UDU , etc.), alors que les antennes de l'AEGEE portent toutes le même nom (AEGEE-Lyon, AEGEE-Athènes, etc.). Cela signifie aussi que, lors des activités locales des sections de l'AEGEE, le sentiment d'appartenance européen existe, là où les activités locales des membres de l'ESIB ne font en rien référence à la fédération, souvent inconnue aux étudiants engagés mais non spécialisés sur les questions européennes. L'absence d'échelon national joue également dans le cas de l'AEGEE un rôle déterminant de promotion de la citoyenneté européenne. Ainsi, une identité différente est en jeu dans les deux organisations. Par ailleurs, les antennes de l'AEGEE recréent, au niveau local, un brassage de cultures inexistant dans les activités locales ou nationales des membres de l'ESIB : les représentants étudiants sont le plus souvent des ressortissants nationaux, alors que le but des antennes de l'AEGEE est de faire se rencontrer les étudiants du pays avec les étudiants étrangers présents sur le site (« European cooking night », échanges linguistiques, week-end francophone..). Ces différences sont recoupées par un clivage important. L'AEGEE cherche à recruter localement des étudiants sans particularité autre que celle d'être européen et de souhaiter rencontrer des étudiants d'autres pays européens. Au contraire, l'ESIB rassemble des représentants étudiants possédant des compétences très spécifiques (haut degré de compétence linguistique ou une carrière souvent importante dans la représentation étudiante…) . D'un côté, l'ouverture à la base, de l'autre, la sélection par les pairs. On ne s'étonnera dès lors pas que les questions de politique éducative européenne restent la préoccupation principale de l'ESIB, dans une image de travail professionnel réservé aux happy few , là où AEGEE s'intéresse plutôt à l'échange culturel étudiant au sens large et présente une culture de la fête bien développée. Une logique politique et professionnelle à l'ESIB s'oppose à une logique associative dans l'AEGEE. Dès lors, que dire de la coopération étudiante au niveau européen lorsqu'on regarde ces deux organisations ? On constate que le versant politique, de la coopération étudiante en Europe, parce qu'il est professionnalisé, reste totalement séparé du versant culturel de la coopération étudiante en Europe. Cette séparation pose la question de la possibilité d'une prise de conscience étudiante européenne à l'heure des réformes de Bologne. Dans de nombreux pays, les étudiants vivant les réformes de Bologne ignorent leur caractère européen, alors même qu'ils peuvent être culturellement intéressés par l'Europe. Nos travaux de thèse nous amènent à conclure à l'impossibilité chronique d'un mouvement étudiant européen dans ces conditions. Dans cette optique, on ne peut s'empêcher de penser à la force qu'aurait une fusion de ces deux associations. ESIB s'en rend parfois compte, comme lorsqu'elle a lancé l'initiative en 2004 puis 2005 d'un embryonnaire « camp d'été » dont le but est de s'ouvrir aux étudiants intéressés par la politique éducative européenne mais de façon moins professionnalisée. Au final, on peut interpréter la séparation des tâches comme un reflet de la manière dont se construit l'Union européenne. L'analyse de la structure décisionnelle du Processus de Bologne, qui harmonise les systèmes d'enseignement supérieur, confirme cette idée : au départ du processus, l'ESIB et l'AEGEE étaient partie prenante d'un Liaison Group étudiant interlocuteur de l'UE, mais c'est finalement l'ESIB qui s'est imposée comme interlocuteur principal de fait, en raison de la logique de fonctionnement des institutions européennes, professionnalisée, l'AEGEE ne s'étant que peu investie dans un fonctionnement qui ne convenait pas à son identité. Le fonctionnement expert de l'UE semble donc favoriser la spécialisation des organisations étudiantes à des domaines distincts, même si la structure proposée (Liaison Group) entendait les rapprocher.
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-00262472 , version 1 (21-03-2008)

Identifiants

  • HAL Id : hal-00262472 , version 1

Citer

Geneviève Myriam Jacqueline Madeleine Désirée Genicot. Une « internationale » étudiante en Europe est-elle possible ? La stricte division du travail entre le culturel et le politique professionnalisé à travers les cas comparés de l'ESIB et de l'AEGEE. Colloque GERME-BDIC-GENERIQUES-HEME « Etudiant-e-s en mouvements : Internationalismes et internationales, cosmopolitismes et migrations étudiantes », Jun 2006, Paris, France. ⟨hal-00262472⟩
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