Le modèle du libre ne concerne pas que l'informatique

Jean-Pierre Archambault
 

   La question est posée : assiste-t-on à l'émergence d'un nouveau modèle économique de l'édition, inspiré de celui du logiciel libre ? L'association Sésamath  [1] s'est vu décerner le Lutèce d'or de la « meilleure action communautaire menée », à l'occasion de la journée « Paris capitale du libre » du 26 juin dernier. Elle regroupe une cinquantaine de professeurs de mathématiques de collège. Environ 500 contributeurs proposent des améliorations des logiciels développés et des documents pédagogiques les accompagnant. On estime à 300 000 le nombre d'utilisateurs de son produit Mathenpoche (enseignants, élèves, parents). D'un côté, l'association met librement et gratuitement ses réalisations pédagogiques sur le web. De l'autre, elle commercialise à des prix « raisonnables » des documents d'accompagnement avec des éditeurs, public (CRDP de Paris) et privé (Génération 5), à partir des ressources mises sur le web. Elle a publié, avec Génération 5, le premier manuel scolaire libre en France.

Linux a investi l'Éducation nationale

   Les enjeux éducatifs des logiciels libres sont de trois ordres. Il y a d'abord des enjeux informatiques. Les collectivités locales, chargées des équipements des établissements, sont sensibles à la question de savoir pourquoi acheter cher ce que l'on peut se procurer quasi gratuitement. La licence GPL assure une certaine égalité des élèves, qui retrouvent à la maison leur environnement de travail sans frais supplémentaires. Le libre favorise une pédagogie qui vise la formation d'utilisateurs « intelligents », et, pour cela, privilégie l'acquisition de notions scientifiques et techniques, et non de « recettes ». Il est en phase avec les missions du système éducatif et la culture enseignante de diffusion et d'appropriation par tous de la connaissance.

   À l'instar de ce qui s'est fait dans les entreprises et les administrations, le déploiement des solutions libres a d'abord porté sur les infrastructures logicielles. Ainsi, dans les services académiques et à l'administration centrale, 96 % des quelque 1 500 serveurs qui hébergent les systèmes d'information de l'Éducation nationale fonctionnent-ils sous Linux. Dans les établissements scolaires et les écoles, près de 15 000 serveurs ont été déployés : Slis, Eole, SambaEdu, Pingoo... Le poste de travail est désormais concerné avec OpenOffice.org, Firefox ou Thunderbird, mais aussi des logiciels pédagogiques spécifiques, tels Dr-Géo, Wims ou Des logiciels libres pour l'école du cycle 1 au cycle 3. Deuxième type d'enjeu, les ressources pédagogiques qui se situent au coeur du métier d'enseignant. Il existe une transférabilité du libre à la réalisation des biens informationnels.

De nouveaux auteurs émergent

   La banalisation des outils de production informatiques, de copie et de diffusion avec internet est à l'origine de l'émergence de « nouveaux auteurs » que sont les enseignants, leurs associations, et les institutions. Chacun peut aisément reproduire les documents qu'il récupère, les transformer, et les remettre à disposition, contribuant ainsi aux processus sans fin de création, diffusion, et appropriation de la connaissance. Les productions sont de qualité, car elles utilisent à plein les potentialités d'interaction, de mise au point, et de coopération d'internet, les mêmes étant à la fois auteurs et usagers.

   Enfin, l'École contribue à la formation du citoyen. Les enjeux de propriété intellectuelle dans la société de la connaissance sont des enjeux majeurs. En ont témoigné les « vifs » débats qui ont accompagné la transposition de la directive européenne sur les Droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information. Toutes les productions de l'esprit sont concernées. C'est ce que dit à sa manière John Sulston, prix Nobel de médecine, quand il évoque en décembre 2002, dans les colonnes du Monde Diplomatique, les risques de privatisation du génome humain : « Les données de base doivent être accessibles à tous pour que chacun puisse les interpréter, les modifier, et les transmettre, à l'instar du modèle de l'open source pour les logiciels. »

Jean-Pierre Archambault,
chargé de mission veille technologique
au CNDP-CRDP de Paris.

Paru dans 01INFORMATIQUE n° 1873 du 22 septembre 2006, page 34 « Carte blanche ».

NOTE

[1] http://www.sesamath.net.

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Association EPI
Novembre 2006

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